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UNE VIE UNE FABLE

Un jour, Abdou Diouf me demanda de passer le voir dans son bureau. Il me fit asseoir et, me mettant dans les mains un catalogue de belle taille que Jacques Chirac lui avait adressé sous dédicace, me demanda d’y jeter un coup d’œil, attendant que j’y relève ce que les deux Présidents y avaient retrouvé eux-mêmes. Il s’agissait du catalogue de l’exposition que le musée d’Afrique centrale de Tervuren avait consacré, cette année-là, à Edmond Dartevelle, explorateur belge du bassin du Congo, qui vécut dans la première moitié du XXème siècle, et que le musée Jacques Chirac mettait à l’honneur depuis l’été à Sarran, en Corrèze.

L’intention de ces musées était louable. Ils s’étaient entendus pour faire découvrir un chercheur belge digne d’intérêt, dont les descendants sont bien connus aujourd’hui pour les belles salles d’art africain qu’ils proposent à Bruxelles, au Sablon. Ceux-ci avait mis à disposition de l’exposition les souvenirs précieux et les objets rapportés d’Afrique qui rappelaient l’aïeul et que la famille avait conservés.

 J’emportai le catalogue que le président Diouf avait prêté à ma curiosité, sachant les causes pour lesquelles les deux anciens chefs d’Etat, amis de longue date, continuaient d’œuvrer ensemble. Je mis le nez dedans et le ressortis ému lorsque j’eus découvert, en la personne de Dartevelle, un humaniste passionné de l’Afrique qu’il avait visité en géologue de métier, mais encore un homme qui s’était mis à l’écoute des Africains de qui ses missions d’exploration l’avaient rapproché. Ennemi de la bureaucratie et de la pratique coloniales, le colon s’était fait anticolonialiste, et le géologue au fait des langues du Bas-Congo et des régions voisines un passionné avant la lettre des arts premiers. Etonné de ma trouvaille, je trouvai à ce héros courageux et simple, venu cent ans plus tard, une analogie certaine avec cet autre savant voyageur dont j’avais raconté la vie dans Le Gouverneur des coquillages, roman que j’avais publié peu auparavant. De part et d’autre, on voyait se profiler un caractère fort et un cœur libertaire, un esprit éclairé, voué à la connaissance et au progrès, à la justice sociale et à l’émancipation des hommes.

Il n’est donc pas étonnant que je me mis d’abord en tête d’écrire, sous forme romancée, une biographie de Dartevelle. Dans sa bonté, sa finesse et sa sagacité coutumières, Abdou Diouf m’avait mis là sur un projet digne de constituer un prolongement tonique à mes activités professionnelles, et même d’ajouter une lampe témoin à l’action menée par la Francophonie au nom de valeurs qui se retrouvaient également dans l’exposition de Corrèze. Nous étions à peu près en novembre, et l’exposition n’était pas loin de se terminer. Aussi, dès que je le pus, je pris le train de Brive-la-Gaillarde, louai une voiture et pris la route de Sarran.  

 A dire vrai, tout cela aurait été trop simple. Des éléments nouveaux, de l’ordre de l’investigation, apparurent, que je n’aurais pu prévoir, et qui, sans la défaire, interférèrent avec mon entreprise.

 D’abord, je constatai, à la lecture du catalogue, que j’aurais dû de préférence disparaître des mois durant dans les forêts équatoriales, au milieu des moustiques, pour mener à bien mon projet tel quel. Je n’en avais, ni le temps, ni les moyens, et n’y étais en rien préparé.

Ensuite, la lecture du catalogue me convainquit que la biographie d’Edmond Dartevelle dans le catalogue, dont la famille s’était chargée, était déjà très suggestive quoique relativement succincte. Elle faisait même œuvre littéraire, en somme, et y mettait beaucoup d’élégance et beaucoup de justesse et de sensibilité dans son plaidoyer. Il me fallait donc aborder le personnage différemment, et j’optai pour un autre angle d’approche, un profil, une espèce de typologie du caractère humain, suggérant une posture convaincante où, en fait de justice humaine, l’indignation militante pourrait sans peine se retrouver.

C’est alors que, presque par hasard, survint un troisième facteur perturbateur, O combien saisissant, celui-là, pour me jeter sur la voie mystérieuse et chargée d’écueils de la création. Je découvris l’histoire insensée de la cession aux Nazis des réserves d’or belge entreposées en Afrique par le gouvernement de Vichy.

Transféré entre l’hiver 41 et mai 42 à travers le Sahara, soit un voyage de 5.000 km étalé sur dix-huit mois, le butin, considérable, aboutit dans les mains de Goering, à Berlin, comme s’y étaient engagés Laval et Darlan. Il ne m’apparut pas possible, de prime abord, d’en tirer matière à autre chose qu’une chronique, une dénonciation écœurée, un roman de gare ou d’espionnage, ou un travail fouillé d’historien, tout à la fois. Ce travail d’historien a d’ailleurs d’être réalisé en néerlandais par Walter Pluym, inspecteur général retraité de la Banque Nationale de Belgique, avec le soutien du Davidsfonds. Son ouvrage vient après l’opuscule de P. Kauch, chef du département des études de la Banque Nationale de Belgique " Le vol de l’or de la Banque Nationale par les nazis ", publié par la revue du personnel de la BNB en 1956 (N° I et 2), et après le récit publié par G. Cornu dans "Les Cahiers anecdotiques de la Banque de France" en 2002.

La donne nouvelle apportée paraissait a priori inconciliable avec le projet. De Dartevelle, au sens biographique, il ne pouvait non plus être encore question. Ce dernier était rapatrié en Belgique à la mobilisation, et, entré dans la résistance quand le pays était occupé, il fut poursuivi et torturé par la Gestapo de Bruxelles. Il ne retrouva l’Afrique que plus tard, après la guerre, pour un dernier séjour.

 Même en partant de la typologie dont j’ai parlé plus haut, un explorateur actif au Congo ne trouvait place nulle part dans l’odyssée de l’or belge volé, sauf à l’imaginer. C’est là ce que j’ai fait. Le roman qui va suivre a de la sorte deux entrées : l’une, au Sénégal, conduit à l’or belge volé, tel que, du côté des acteurs, le romancier ose en tirer argument. L’autre, depuis l’ancienne colonie belge, où l’on ne manque pas de s’émouvoir des malheurs de la patrie, s’ouvre sur les théâtres qui furent témoins de la funeste opération.

C’est cette seconde porte qui livrera passage à la mission d’enquête que j’ai entrepris de mettre sur le chemin de cette histoire, pour rappeler que tout, sur notre vieille terre, n’est pas abandonné à l’inhumanité, au non-droit et aux sans espoir.

 

                                                                                                                                  Ph.C.

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