LE CORRESPONDANT DE PAIX

 

Cet essai est paru, en décembre 2017, aux Editions Muse à Sarrebrucken.

Quand j’interroge : « - Avez-vous déjà entendu parler des correspondants de paix ? », mon interlocuteur hoche la tête. - « Les correspondants de guerre, cette fois vous connaissez ? » - "Ceux-là oui, je connais… ». Je réalise alors que la guerre évoque, pour ces hommes tranquilles, quelque chose de plus concret que ne l’est la paix. L’explication se trouve dans le dictionnaire : la paix est blanche, définie par son contraire, son alternative à la guerre est en creux. C’est avoir oublié la leçon que Jaures reçut d’Héraclite : « Ce qui lutte aujourd’hui est le commencement de la réconciliation de demain ». Le correspondant de paix est celui qui, dans la guerre, tisse « la toile de la survie de la paix ». Je m’en vais donc vous parler de cet inconnu et, voulant sauver de la guerre la seule que les hommes aient pu croire juste, je vais aussi vous parler de Spartacus. Un jour, la guerre ne s’arrêta plus aux hommes. Il en sortit la correspondante de paix, attendue des populations victimes, les hommes n’ayant su inspirer suffisamment confiance. Qui, me direz-vous, sinon le correspondant de paix, exprimera le mieux le dilemme : s’agit-il de changer le monde ou de changer la vie ?

 

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Suicide et liberté : Stig Dagerman devant Sénèque - « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » (1952)

On sait que nous sommes en présence d’un texte de grande portée du point de vue littéraire. Ce texte d’un être détruit est paradoxalement le fruit d’une acuité d’esprit rare et d’une grande maîtrise du propos. Le fait est d’autant plus considérable que cette réflexion sur la vie et la mort précède d’un an le suicide de l’auteur, à 31 ans. Qu’en dire au regard de la philosophie et de la morale pratiques, sachant que Dagerman n’aura pas trouvé de philosophie où il ait pu se mouvoir « comme un poisson dans l’eau » ? Sa recherche « d’une consolation qui soit plus qu’une consolation » aura été « plus grande qu’une philosophie », c’est-à-dire « une raison de vivre ».

A propos de l’angoisse de l’homme moderne face à une conception du monde qui s’écroule (nous sommes au sortir de 45), Dagerman, marqué par la déréliction et l’absurde existentiels, a écrit ici une page d’anthologie de la pensée existentialiste dans sa version nihiliste (fréquente dans la tradition intellectuelle de l’anarcho-syndicalisme) : « Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux ». Ce départ est bien sûr un classique de la philosophie occidentale depuis Schopenhauer, Nietzsche et Kierkegaard, autre scandinave (il était danois), mais le positionnement existentiel, originel, se trouve aussi en amont de tout système spéculatif ou moral.

 Quand, par une prise de position résolue, l’être humain se tient de la sorte prêt à quitter la vie, il ne se compromet pas pour se la conserver. Il faut avoir épuisé tous les recours consolateurs de l’existence, refuser les servitudes, les performances (plus précisément les performances littéraires) et les devoirs qui éteignent les désirs, appris l’autonomie vis-à-vis des faits qui sont la cause du désespoir, pour en rabattre enfin au profit de la seule consolation qui compte et soit réelle : « celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites ». De même, il faut avoir écarté la « valeur temps », instrument de mesure sans valeur réelle de la vie (position inverse du « temps collectif » de Heidegger), et surtout de son « merveilleux contenu », sa beauté et son aspiration à la perfection. La félicité, atemporelle, nous dit Dagerman, se situe « en marge du temps » et « nie toute relation entre celui-ci et la vie ». Une tranquille perfection est le mode d’être de la littérature, et non la performance qui situe dans le temps à venir la chaîne des ouvrages qui n’ont pas encore été écrits et qui, si nous avons à l’esprit la destinée interrompue de  Dagerman, ne le seront jamais…

 Il faut avoir aussi retenu la leçon de liberté que donne le spectacle de la nature (où l’on « vit simplement », « prend ce que l’on désire » et où « l’on ne craint pas les lois »), sachant qu’il n’est plus guère possible de « vivre en liberté en dehors des formes figées de la société » à l’exemple de l’écrivain transcendantaliste américain Henri Thoreau, révolté solitaire retiré dans la forêt de Walden et dont la résistance individuelle est à l'origine des concepts modernes de désobéissance civile et de non-violence.

 « Notre besoin de consolation… » – extrême, mais nullement défaitiste car l’écrivain, ce militant, ne saurait se dérober à une prise de position - nous lègue cette forme de sagesse dernière qui veut qu'une des possibilités de salut consiste à ne pas se fuir soi-même ni s'apitoyer sur soi, ni se laisser vaincre par son angoisse.  Affronter le désespoir avec lucidité revient à gagner sa liberté contre l’ordre mauvais du monde, l’esclavage et la dépendance, le nombre (les autres) « car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. ». C’est la tragique conclusion d'un être jeune aspirant à la pureté, détruit par la vie et hanté par la mort, révolté et rimbaldien, et que l’écriture n’a pu sauver que durant cinq années d’écriture intense. Dans cette mesure, du point de vue de la littérature, avec une aussi haute tenue littéraire pour exprimer sa souffrance (comme Nietzsche), parler d’un cerveau malade serait vain. Dagerman nous a livré sur le tard « Notre besoin de consolation… », legs d’une incontestable qualité littéraire et philosophique et témoignage humain magistral, au sortir de quoi la solitude est devenue plus profonde encore pour l’auteur qui s’est interrompu et la mort une perspective de plus en plus obsédante et proche.

 Sénèque écrit dans les « Lettres à Lucilius » que « Le souverain bien, c'est une âme qui méprise les événements extérieurs et se réjouit par la vertu » ou encore « Le sage ne doit point fuir de la vie, mais en sortir. » (lettre 30). Ce qui pourrait donner selon Dagerman la variation suivante : « Le souverain bien, c'est une âme qui méprise les consolations extérieures et se réjouit par sa libération dans la mort. »

 Il est frappant que Dagerman ait écrit « Notre besoin de consolation… » avec une maîtrise logique remarquable et une technique quasi aphoristique, opposant la force des mots à celle du monde et à l’impossibilité, pour le jeune auteur militant, de réaliser ses utopies de justice et de partage. L’esprit se dépouille, sur le mode stoïcien, de toutes les fausses consolations pour la seule consolation réelle in fine : « celle qui me dit que je suis un homme libre, un être souverain à l’intérieur de ses limites ». Mais le prix payé par cet esprit est le désespoir.

 La « confession » de cet enfant du siècle décèle la filiation qu’il est permis de discerner entre l’existentialisme de ce milieu du XXe siècle et le stoïcisme antique. Le rapprochement possible entre le monde contemporain et l’empire sous Néron. Le suicide est la dernière arme des stoïciens et la délivrance décisive. « Méditer la mort, c'est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus être esclave. » Et ailleurs, « le sage vit autant qu'il le doit, non autant qu'il le peut. » (lettre 70).»

 

« Perdre la vie est perdre le seul bien que l'on ne pourra regretter d'avoir perdu puisque l'on ne sera plus là pour s'en rendre compte » écrivait Sénèque. La mort est la plus décisive de nos expériences, souligna pour sa part Heidegger, parce que justement elle n’est plus notre expérience. A cette assertion partagée, « Notre besoin de consolation… » rétorque, en radicalisant le propos, que la mort est liberté absolue pour celui qui vit par elle, mais que la vie est une effroyable désillusion pour celui qui, appelé à mourir, place en elle ses espoirs. Le bien et le mal (le roi Salomon, Ophélie et Himmler) y finissent indifféremment alignés dans la même fosse. (« Quelle atroce consolation pour celui qui voudrait voir dans la vie une consolation pour la mort ! »). La vision d’apocalypse et le traumatisme laissés par la guerre nous projettent ici au-delà du bien et du mal et portent la marque de la dépression.

 « Notre besoin de consolation… » reste ainsi un testament philosophique prônant, non pas l’indifférence stoïcienne ou le dégoût existentiel de la vie, mais l’usage de celle-ci prête à recevoir la mort, celle qui, au bout de son désespoir lucidement assumé, apparaît à l’auteur sous la forme du suicide, « seule preuve de la liberté humaine »... Comme le disait Sénèque, « Ce que la vie a de meilleur, c'est qu'elle ne force personne à la subir. »

Toussaint Louverture

Le 150è anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises sous la Deuxième République ne peut ignorer le mouvement qui, conduisant à l’indépendance d’Haïti, a préparé l’événement. La figure de François-Dominique Toussaint Louverture, le Premier des Noirs, y est emblématique plus que tout autre. Doté par les événements de Saint-Domingue d’une épaisseur historique et d’une trajectoire personnelle complexe, le personnage ne s’est pas trouvé figé dans les interprétations ni dans les simplifications commodes vers lesquelles tendent toute rhétorique patriotique. La documentation historique disponible nous en a gardés, abondante concernant un personnage et des faits étroitement liés au mouvement général de la Révolution française. Grand soldat à une époque où s’en sont révélés beaucoup qui, en d’autres temps, n’auraient pas eu l’occasion de le devenir, Toussaint Louverture était également un organisateur et un visionnaire. Sans doute a-t-il été un homme d’Etat ambitieux qui, pour devenir ce qu’il a été, a dû renverser ses alliances, vaincre ses rivaux, l’arme à la main. Il est permis de lui faire reproche de ses tendances autocratiques, des cruautés de ses subordonnés directs, de menées guerrières pas toujours justes, mais il a servi la République et c’est au nom de celle-ci que, gouverneur général, il a dirigé la colonie. Ajoutons le chrétien fervent que fut ce général de la République à peau noire, ancien cocher de l’habitation Breda passé aux Espagnols de Santo-Domingo pour revenir en chef faire allégeance à la nation qui émancipait les Noirs.

 A propos du Spartacus de l’histoire, les historiographes nous posent des problèmes de deux ordres : d’abord, ils écrivent de deux à quatre siècles après les événements. Salluste commence entre 78 et 67 avant J. C. Appien termine au IVe siècle après J.C. Ce ne sont ni des chroniqueurs, ni des historiens à suivre sans précautions, car, officiellement chargés d’écrire une certaine histoire, ils travaillent sur commande. Ensuite, Spartacus embarrasse et trouble ces chantres des grands propriétaires, sénateurs, prétoriens et marchands d’esclaves de la Rome impériale. Il est plus avisé, plus courageux, plus intelligent, plus généreux et plus génial tacticien que ce qu’on se croit en droit d’attendre d’un esclave. Il est même tout cela beaucoup plus que les généraux romains qu’il a rossés. En somme, Spartacus est plus grand que sa révolte qui est celle de ses compagnons d’infortune que Rome voit comme de la racaille alors que les rangs des esclaves sont grossis de petits paysans libres restés misérables là où la réforme agraire des Gracques ne les a pas touchés. Plusieurs siècles après qu’il meurt en vrai général dans ce qui sera le dernier combat, les historiographes sont saisis encore de rancœur et de frayeur, Florus excelle à en donner le ton, mais parfois aussi d’admiration s’il s’agit de Plutarque. Son courage et sa force, lit-on dans ses Vies parallèles, surtout son intelligence et sa douceur « l’élevaient au-dessus de sa condition et le rendaient plus grec que sa naissance. ».(Crassus, VIII, 3).Autant pour Crassus, le ploutocrate, le vainqueur romain de si peu de mérite, si peu grec ! La connaissance qu’avait Plutarque des hommes illustres de l’Antiquité romaine reposait sur l’Histoire de Salluste, aussi indispensable que Les Vies parallèles à la compréhension des valeurs entretenues par les générations successives qui se sont transmis depuis Montaigne le grand héritage classique. L’Histoire romaine sera l’inspiratrice du néo-classicisme de la génération de 1770-80. Car tout va repartir au XVIIIe siècle. Rien ne semble l’annoncer. Dans son Mithridate, Racine passe sans complaisance sur le vil gladiateur qui a su faire trembler Rome. L’évolution des idées, des goûts et des modes littéraires bientôt le déblayera de la matière qu’offre l’Antiquité, autorisé par un changement de paradigme introduit par le psychologisme et le sensualisme ; à la faveur du débat sur les privilèges ecclésiastiques et seigneuriaux dans les campagnes ; enfin, grâce à la charge des Amis des Noirs et des sociétés philanthropiques contre le scandale de l’esclavage colonial alors que la situation économique de la France, désastreuse depuis la fin du règne de Louis XIV, permet l’enrichissement des financiers et de ceux à qui profitent la traite des esclaves.

 Déjà, les avertissements des philosophes des Lumières disaient les risques encourus dans les colonies. Ils posaient les acteurs des révoltes d’esclaves à venir comme les nouveaux porte-glaive de ce Spartacus symbole fort de la révolte des opprimés et qui figurera encore à ce titre dans L’Homme révolté de Camus deux siècles plus tard. Encore fallait-il que ce Spartacus noir annoncé se révélât au jour et, ainsi que nous le renseigne toute la tradition littéraire qui va le porter durant ces deux siècles, qu’il fût un. Toussaint aura-t-il pu y prétendre ? Ce nouveau Spartacus aura-t-il pour autant pris les traits du Premier des Noirs ? L’appropriation de Spartacus par le XVIIIe siècle, où les générations se passent le flambeau, se jouera en quatre temps orientés dans le sens d’une radicalisation progressive : 1) 1734 : commence la relecture érudite réinterprétative ; 2) 1760 : par le biais du théâtre, le plaidoyer en faveur d’une gouvernance sage et éclairée ; 3) 1774-80 : devant l’échec des réformes, la dénonciation de l’esclavage et l’appel à la révolte; 3) 1789 le passage à l’acte contre le « servage », puis 1790-91, contre l’esclavage.

 En 1734, les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence deMontesquieu, dénoncent au livre XI (Chapitre 18) l'esclavage et attribuent la guerre des esclaves à la responsabilité des « traitants ». Cette année-là, une Annonce à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres est déposée par le Président de Brosses, magistrat qui siège au Parlement de Bourgogne, épicurien à la vaste érudition, connu pour ses célèbres Lettres d’Italie.Charles de Brosses donc expose sa méthode. Il veut donner un aperçu des événements de la fin de la République romaine que relatent 685 fragments conservés de Salluste sous la forme d'un « Supplément à l’ouvrage historique de Salluste que nous n’avons plus , en faisant usage de tous les fragments disposés dans leur véritable place, ou du moins dans celles qui lui ont paru les plus naturelles », de « rassembler ensuite les restes épars de son histoire, les comparer soit entre eux, soit avec les passages des autres écrivains (latins)... » Il retournera successivement en 1757 et en 1769 devant l’académie avec son projet que seule interrompit sa mort en 1777. Sa langue, serrant au plus près un latin énergique et concis, imite en français le style de Salluste, comble les lacunes du texte, et ses comptes-rendus successifs donnent la mesure de l'évolution dans la façon dont les esprits vont progressivement légitimer la révolte d'un être non libre, d'un esclave, et réprouver un état de sujétion barbare et méchant qui n’est pas dans la nature et ne reflète pas ses lois.

 Vient le second temps. L’année 1760, s'impose à Paris Spartacus, la première œuvre qui lui est consacrée, mais également l’ultime tragédie dans le style noble qu’a perpétué Voltaire. Ce sera le chant du cygne du genre tragique que va supplanter le drame bourgeois, si l’on excepte les productions de commande sous la Révolution. Son auteur, Bernard-Joseph Saurin (1706-1781), est un familier des Encyclopédistes, et l’argument s’avère plus moderne sur le fond que pour le genre qui lui a donné sa forme. Dans la mode ancienne des figures stoïques du théâtre français, Spartacus est prétexte à illustrer le type fixé de « l'ancien Romain », ce professeur d’énergie qui, depuis, Montaigne, force l’admiration des générations. Mais, dédiée à Helvétius, dont l’ouvrage De L’Esprit a exposé, deux ans plus tôt, une « physique des mœurs » au déterminisme rigoureux, la pièce donne corps à ce plaidoyer en faveur d’un matérialisme passionné qui soutient que les circonstances dictent à l’homme des actions éminentes, mais approuve « que l’humanité publique soit quelquefois impitoyable envers les particuliers » car « tout devient légitime et même vertueux pour le salut public ». Véritable dépositaire « éclairé » du message de la pièce, l’ennemi Crassus justifie la puissance romaine par son souci du bien public, offrant aux hommes la paix civile et la concorde. C'est sur ce renversement des rôles que tout repose par la grâce d’une convention littéraire mise au service d’un public qui se reconnaît encore en elle. Plaidant en faveur d'un aménagement du Pouvoir en place, d'un redressement par les soins portés aux vertus publiques, Spartacus est l’œuvre d'un modéré pour qui l’optimisme réformateur n’a d’égal que la prudence politique. Rien d'étonnant dès lors que, sous la Révolution, la pièce ait été jugée « réactionnaire ».

 L’intérêt de la pièce est aussi du côté des spectateurs. Voltaire en était, et Melchior Grimm, et Diderot aussi. On connaît leurs réactions par leur correspondance. Voltaire remercie Saurin. Spartacus est son homme ; celui-là  aime la liberté. L’article « esclave » de son Dictionnaire philosophique,qui est de 1764, précise sa pensée: « Il faut avouer que de toutes les guerres, celle de Spartacus est la plus juste, et peut-être la seule juste. » Ce que vise Voltaire, Comment Voltaire, propriétaire foncier et financier enrichi, est en fait le « servage » - entendons ses corvées et privilèges résiduaires - auquel est consacré la presque totalité de l’article. La dénonciation est à mettre en regard de l'intérêt que Voltaire a porté au phénomène des « bandits sociaux », les Mandrin, les Cartouche. Il a compris que Spartacus, déjà, traduisait le malaise paysan face à la phase brutale de transition d'une société de type agraire à une société de type capitaliste, et la position qu’il défend lui permet d'unir les intérêts du manufacturier et la liberté de l’humaniste.. Et, S’il a des intérêts dans la traite, il n’est pas à une contradiction près quand il s’en prend, dans Candide, aux pratiques esclavagistes. « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe »

 De son côté, Diderot dénonce l’usage d'une esthétique devenue désuète et pauvre en détails sublimes, jugeant que ce Spartacus, ce n'était pas assez de le montrer grand, qu’il fallait encore le montrer malheureux... Diderot est en train de concevoir le drame bourgeois. Grimm qui, en sa compagnie, a assisté à la première de la pièce, voit plus loin, habile à prétexter de la critique esthétique pour  rompre l’assimilation traditionnelle de la valeur personnelle et de l’origine aristocratique « (…) comme si un simple prisonnier de guerre, réduit à l’esclavage et brisant ses fers par un généreux effort, et se vengeant de ses tyrans à force de grandes actions, n'était pas assez intéressant à voir sans avoir recours aux distinctions vulgaires de rang et de naissance ! » Il s’en faut encore de beaucoup pour que l’esclave révolté exerce sur les esprits l’ascendant qui lui donne place sur les rangs des héros mythiques, ces grands exemples devenus indiscutés et qui réclament qu’on les suive. Les conflits politiques des années 60 ne sont pas encore violents et la révolte de Spartacus, malgré la conscience élevée attribuée à son chef, ne reste perçue après tout que comme une révolte sanglante de pillards et de brigands. Cependant, s’est renforcée l’image forte et singulière de cet esclave vengeur, et c’est tout à l’honneur de Grimm. Elle va connaître un véritable succès entre 1770 et 1780, quand toute une génération bascule dans le radicalisme et qu’une sorte de mythe « spartakiste », pour souscrire à l’audacieux rapprochement que fit à ce propos Roland Mortier, anime la gauche intellectuelle française. Les textes qui constituent, en 1774 puis en 1780, la contribution de Diderot à l'Histoire philosophique et politique des deux Indes de l'abbé Raynal donnent la dimension du fossé qui s’est creusé. Hostile à l’esclavage colonial encouragé par le roi, Diderot s’insurge contre l’institution. qui viole les droits naturels inaliénables de l’individu. Entre en scène une véritable prophétie de la révolte où Spartacus apparaît comme un thème de référence central, un révélateur chimique puissant. Apparaît le vengeur du nouveau monde, un Spartacus noir emblématique qu’une rhétorique flamboyante met en place, efficace parce que aisément condensable en quelques signes, celle-là même qui emplira les prétoires de la Révolution. « Où est-il ce grand homme, que la nature doit peut-être à l'honneur de l'espèce humaine? Où est-il, ce Spartacus nouveau qui ne trouvera point de Crassus? Alors disparaîtra le Code Noir. Et le Code Blanc sera terrible, si le vainqueur ne consulte que le droit des représailles »[1]. C'est un Diderot âgé, devenu „régicide“, un rhéteur cultivant un « rêve d'héroïsme vécu » (Roland Mortier), se reconnaissant dans Brutus ou Spartacus, qui va légitimer ce dernier comme modèle pleinement exemplaire, le détacher et l’imposer pour justifier son équipée si dramatique. Louis-Sébastien Mercier reprendra, en 1776, dans son roman L’An 2440, la prédiction de la révolte des Spartacus noirs dont Diderot avait prophétisé deux ans plus tôt le soulèvement. Les Fastes (1779), poèmes tragiques d'Antoine-Marin Lemierre (« Tremblez que ne s'élève un nouveau Spartacus ») feront de même. Lessing, qui a pris connaissance de la pièce de Saurin, fait entrer Spartacus dans la littérature allemande, enthousiasmé par la stature de l’homme et sa soif de liberté. Leur donnant raison, sous le sabre de Toussaint Louverture finiront par se rencontrer l’histoire et la littérature. Faut-il pour autant que ce nouveau Spartacus  soit Toussaint ? Il en a le métier, l’intrépidité et la ruse, l’intelligence et le sens de l’organisation. Mais lui-même qu’en pense-t-il ? 

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 L’Histoire romaine de Salluste « reconstituée » par De Brosses, publiée par l’Académie des Inscriptions, est contemporaine de l’Histoire des deux Indes de l’Abbé Raynal. Les deux publications, de 1774 et 1780, de l’ouvrage de Raynal précèdent et suivent de trois ans son édition définitive. Elle arrive à point nommé pour instruire les jeunes radicaux de la génération d’avant 1789 de l’actualité de Salluste et de l’austère vertu des Gracques et de Brutus. Le tournant des années 70 qui voit l’apparition de ce néo-classicisme à orientation politique, amorce une méditation historique tournée vers l'avenir. Au sein même du parti des Lumières se sont définies progressivement une droite et une gauche qui apparaissent au grand jour à l’époque de la disgrâce de Choiseul et de la dictature conservatrice du chancelier Maupeou. Les esprits avancés, plus ou moins unis lorsqu’il s’agit de dénoncer, avec Voltaire, les privilèges du clergé et l’arbitraire royal, se dissocient progressivement lorsqu’il s’agit, avec l’abolition de l’esclavage, d’aller plus loin que la dénonciation de la féodalité et de ses privilèges séculaires. Corvées et privilèges ecclésiastiques et seigneuriaux se verront définitivement abolis lors de la Nuit du Quatre août 1789, sous la pression de la révolte paysanne, dite de la Grande Peur, en juillet-août de la même année. Nous entrons dans la quatrième phase de la relecture de Spartacus, celle de l’action révolutionnaire. Mais lorsque le métis Ogé, venu de Paris, débarque au Cap français (aujourd’hui Cap haïtien), le 17 octobre 1790,  pour obtenir par la force l’application du décret de l’Assemblée nationale du 28 mars de la même année qui accorde aux libres des droits politiques, c’est pour se faire écraser par les colons de Saint-Domingue insurgés. Réfugié chez les Espagnols de Santo-Domingo, il fut livré par ces derniers à l’Assemblée du Nord qui, depuis le Cap français, le réclamait « au nom du Roi de France », et roué, en février 1791, alors que ce supplice hérité de l’Ancien Régime était aboli en France. En janvier 1791, dans Les Révolutions de Paris,le girondin Léger-Félicité Sonthonax prédit des cendres des martyrs de la répression que viendraient naître de nouveaux Spartacus : « Et toi, généreux infortuné, qui peut-être es déjà victime de ta noble entreprise, quelle que soit la destinée que te propose la tyrannie des blancs, le sacrifice de ta vie ne sera pas perdu, ta mémoire sera révérée parmi les nations libres (…). Console-toi, un nouveau Spartacus renaîtra de ta cendre. » (n° 77, 1er janvier 1791) C’est l’insurrection des esclaves de la colonie du Cap français en 1790-1791, avec à sa tête Toussaint-Louverture, qui vint concrétiser les avertissements de L’Histoire des Deux Indes et les appels à la prudence adressés aux Français par Condorcet et la Société des Amis des Noirs.

 La résistance des colons va provoquer, en 1791 et 1792, une longue guerre entre les Blancs et les hommes de couleur. Le décret du 4 avril 1792, pour ramener l’ordre et la paix, accorde l’égalité aux Mulâtres et aux Noirs libres qui avaient pris l’avantage de la situation. Ce décretexclut les masses d’esclaves noirs qui travaillent dans les ateliers des habitations. La guerre continua de telle sorte que, à la recommandation de Brissot, Sonthonax reçut, à Paris, de l’Assemblée nationale, mission d’aller pacifier la colonie de Saint-Domingue, dévorée par la haine raciale, avec le titre de Commissaire civil. Contraint et forcé par les menaces conjuguées des colons, des Anglais et des Espagnols, Sonthonax proclama, avant la décision de la Convention, l’affranchissement des esclaves le 29 août 1794, suscitant le ralliement à la République de Toussaint Louverture, alors au service des Espagnols. La Révolution s’était donc montrée conséquente dans l’application de ses grands principes, mais elle ne fit que « sanctionner et généraliser une œuvre déjà accomplie à Saint-Domingue », fera observer Victor Schoelcher, le père de la libération des esclaves au XIXe siècle, dans sa Vie de Toussaint-Louverture(Paris, Karthala, 1982, pp. 79, voir aussi pages 197 à 200). Ce qui n’empêcha pas ce dernier de rendre l’hommage dû à Sonthonax, l’impavide Commissaire de la Convention.

 Toussaint sera maître du pays jusqu’en 1802 avant d’être capturé par traîtrise sur ordre de Bonaparte. La chute de Robespierre, la réaction thermidorienne, le Directoire et sa guerre économique contre l’Angleterre vont reposer le problème des colonies. Le 23 août 1797, renvoyé par Toussaint, Sonthonax s’embarque pour la France où, nommé député, il devra répondre, avec succès, de sa popularité et de la politique négrophile menée à Saint-Domingue. Mais avec la réaction thermidorienne, les positions vont se redistribuer en faveur des tenants du régime que la bourgeoisie possédante a dégagé de la tempête révolutionnaire. La période voit l’aggravation de la crise économique, financière et sociale. La misère des masses contraste avec la vie libertine et fastueuse des spéculateurs et l’inflation donne argument au mouvement révolutionnaire, Cordeliers et Egaux, sans favoriser son essor. C’est que, sous la Révolution, l’émancipation par la loi a conduit à l’avant-plan la question de la propriété foncière. Le théâtre en témoigne. La mode lancée par Les Brigands de Schiller, au Théâtre des Nations, en 1792, paraît suffire au terreau de revendications  intimement liées à la réforme agraire. George Sand a rapporté un intéressant témoignage de l’engouement pour les brigands qui appartient à cette époque de sa jeunesse. De fait, dès 1792, Spartacus ne peut, aussi avantageusement que le Caius Gracchus de Marie-Joseph Chénier, imprégné d’austère vertu citoyenne,  assurer la défense de la loi agraire. Et Gracchus n’est pas Spartacus. Catherine Salles, dans son ouvrage consacré au Spartacus antique, a réservé un bref mais utile chapitre à la fortune du mythe à l’époque moderne. De la  période de la Révolution française, elle retient, que « référence naturelle pour ceux qui ont œuvré pour la suppression de l’esclavage, Spartacus a eu moins de succès en tant que symbole de la défense de la liberté contre la tyrannie auprès des révolutionnaires français, pourtant fort avides de retrouver dans les héros de l’Antiquité les thèmes de leur idéologie.»[2] Et c’est la loi agraire qui sera si passionnément revendiquée par le Tribun du Peuple de Gracchus Babeuf. Toussaint, depuis son île, ne pense pas autrement.

 Le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), le coup d’Etat qui amène Sieyès à la présidence du Conseil des Cinq-cents amorce le processus de confiscation de la République. Il subvertira les concepts hérités de Rousseau dans un sens favorable à l’économie politique libérale. La France en guerre s’inquiète de sa colonie, mais le Directoire accorde encore sa confiance à Toussaint vainqueur des Anglais et devenu général en chef de l’armée de Saint-Domingue. Spartacus, le libérateur des opprimés, va reprendre, aux yeux de la bourgeoisie, le visage ensauvagé des mauvais jours. Libérateur d’esclaves, il fait peur à un corps politique élu au suffrage censitaire. La colère servile est un danger à grande échelle, qui tient plus du brigandage et du meurtre, juge-t-on utile à droite de rappeler, que de l’effort des hommes pour se libérer de l’oppression. Un mois plus tard, Eschassériaux aîné, qui vota la mort du roi, se prononça contre Robespierre, fut rapporteur pour les Cinq-cents pour les affaires touchant aux troubles à Saint-Domingue, fait encore, dans la lignée de Diderot, Mercier et Sonthonax, le point des principes avant que ce thermidorien de « gauche », ne se rallie aux modérés, puis, plus tard, au coup d’Etat de Bonaparte. On ne peut faire machine arrière, prévient-il, et précipiter sous le joug de leurs anciens oppresseurs des hommes qui se sont habitués à la liberté depuis cinq ans. L’oppression produit des explosions funestes. Une telle situation aurait rompu les liens entre la France et les colonies, fait le lit de quelque nouveau Spartacus. Mais, instruit des réalités, il commence à s’inquiéter publiquement du caractère d’urgence de la situation. Un mois plus tard encore, en nivôse An VI (décembre 1797 / janvier 1798), effrayé des troubles intérieurs de la France, Paul Bontoux, élu des Hautes-Alpes, affiche à découvert le visage de la réaction et renoue avec les vieilles interprétations qui reflètent l’opinion des possédants.

 « Je sais que le mal est grand, que le brigandage est poussé à un point alarmant, mais enfin un Peuple vainqueur tremblera-t-il devant une poignée d’assassins ? Ressemblerons-nous à Rome, victorieuse du monde et effrayée à l’approche des bandes de Spartacus ? »[3]

 C’est dire que Toussaint, sur qui compte le Directoire, n’est pas cet inquiétant Spartacus dont persiste la menace et qui pourrait se réveiller ailleurs. Il reste ce général serviteur de la République dans une île qu’il a conquise pour, dit-il, la lui conserver. Où se situe-t-il ? Croit-il échapper aux discours qui se retournent ? Ce qui ressort de la lecture de ses Mémoires, - à vrai dire plutôt un mémoire ayant servi à la défense du Premier des Noirs après sa capture - d’une sincérité de ton et d’une honnêteté de forme qui nous révèlent cet homme dont on se demande ce qui l’emporte chez lui du calcul ou de l’ingénuité, qui avoue avoir peu de connaissances, n’avoir pas fait ses humanités, c’est que, confiant dans la République, le gouverneur général Toussaint, pour convaincre, condamne déprédations, pillages et brigandages, revendique le sage gouvernement de la colonie qui est son fait, le retour de l’île à la prospérité, ses agriculteurs remis au travail, sa propre gestion de propriétaire florissant, la douceur de la vie familiale qu’il dépeint avec les accents d’une sensibilité qui rappelle les élans des époux et des pères dans les peintures de Greuze.

 Toussaint, ancien esclave, est un homme dont la conservation de la colonie (page 88) et le souci est la respectabilité, ce qui ne l’abaisse nullement mais le recentre au milieu des espérances et des aspirations de son temps. Le Premier des Noirs n’est pas le Vengeur du nouveau monde, quoi qu’il eût pu y prétendre,  quoiqu’on l’ait vu, esclave, se dresser, terrible soldat. «  Si j’ai fait travailler mes semblables, c’était pour leur faire goûter le prix de la véritable liberté sans licence ; c’était pour empêcher la corruption des mœurs ; c’était pour le bonheur général de l’île, pour l’intérêt de la République. Et j’avais effectivement réussi dans ma tâche, puisqu’on ne voyait pas dans toute la colonie un seul homme désœuvré et que le nombre des mendiants était diminué au point qu’à part quelques-uns dans les villes, on n’en voyait pas un seul dans les campagnes. » (page 60)  Il reste quelque chose de girondin dans la rhétorique employée dans ces propos…

                                                             *

 Le coup d’Etat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) dans la métropole renforcera définitivement le pouvoir exécutif aux mains des Consuls Sieyès, Ducos et Bonaparte. Il confirmera l’égalité civile et la souveraineté nationale conquises sous la Révolution, mais exclura l’égalité économique et sociale du champ des garanties offertes par la Constitution de l’an VIII (1800). Toussaint proclamera, la même année, l’autonomie de Saint-Domingue et songera à libérer les esclaves de la Jamaïque. Mais il entrera en conflit avec les Mulâtres haïtiens et les autres généraux de l’armée avant de tomber aux mains de Bonaparte, auprès de qui Joséphine défend les intérêts des planteurs. A sa chute, en 1802, pris dans les rets du Premier Consul Bonaparte, le général Toussaint, prétorien investi de la légitimité républicaine, pour fléchir son bourreau, se compare au malheureux Annibal poursuivi de la vindicte du sénat romain. « Le général Leclerc doit être franc : avait-il craint d’avoir un rival ? Je le compare au sénat romain, qui poursuit Annibal jusqu’au fond de sa retraite. » (page 85) Un éminent chef de guerre, investi de pouvoirs réguliers, espère dans la considération que, en reconnaissance de sa bravoure et de son honneur, son vainqueur devrait au vaincu.

 « J’ai vu quelquefois des officiers généraux criminels pour avoir manqué à leurs devoirs ; mais en considération du caractère dont ils étaient revêtus, on les ménageait, on les respectait jusqu’à ce qu’ils fussent devant l’autorité supérieure… A supposer même que je fusse criminel et qu’il y eût des ordres du gouvernement pour me faire arrêter, était-il besoin d’employer cent carabiniers pour arrêter ma femme et mes enfants sur leurs propriétés, sans respect pour le sexe, l’âge et le rang ; sans humanité et sans charité ? » (pages 84-85)

 Méconnaissant l’autorité de la métropole, le possédant et l’autocrate en lui ont rêvé une autonomie qu’encourageaient les distances et le caractère insulaire, la promulgation « de lois basées sur les localités », « le caractère et les mœurs des habitants de la colonie » (page 87). Le chef militaire, le gouverneur comme le possédant découvrent que la chute et la déchéance ont surtout à voir avec la raison d’Etat. Mais le proscrit découvre aussi une autre vérité que voilà, qui fait qu’il ne traite pas en égal avec ces Français qui l’ont abandonné, celle de la restauration de l’esclavage, hideux retour de la discrimination raciale, violence faite aux principes du droit naturel, à toutes les preuves qui ont été données d’avoir mérité la liberté, à l’intérêt public et à cette patrie pour laquelle il n’a jamais hésité à sacrifier sa vie, lorsqu’il s’agissait de procurer quelque bien-être à son pays et quelque triomphe à la République (page 94). « La couleur de mon corps nuit-elle à mon honneur et à ma bravoure ? » proteste Toussaint  (page 85) Pourquoi veut-on que les ténèbres soient la lumière et la lumière les ténèbres ? (page 87). En ce qu’’il appelle son parler nègre, « il ne faut pas que ce qui est doux soit amer et que ce qui est amer soit doux. » Si tous ses concitoyens, affirme-t-il, se montrent convaincus de son amour de la liberté, c’est du fait que la majeure partie d’entre eux, tout comme lui, étaient esclaves et c’est fort de la justice de sa cause qu’il a repoussé l’injustice et l’oppression. Tous peuvent en témoigner, jusque « au petit nombre de ceux qu’on appelait libres », et qui étaient encore, « comme le reste, sous le joug accablant du despotisme le plus absolu. » (page 116). Il serait vain de demander à la Révolution française plus que ce qu’elle a apporté. Jusqu’à ce qu’on le fît tomber, peut-être Toussaint a-t-il été un Spartacus qui aurait réussi, un vengeur rentré sur ses terres, un de ces possédants gagnés aux circonstances et d’où la Révolution fit sortir la bourgeoisie nouvelle, le fondateur d’un des nouveaux Etats du nouveau monde. Toussaint a cru en la communauté humaine en absolvant la République des fautes de ceux qu’elle avait déchus, en mettant en elle ses espoirs. Mais il était noir. L’avocat Saint-Rémy, noir natif des Cayes, a commenté les Mémoires de Toussaint parues par ses soins en 1853, et a dédié son étude à Harriet Beecher Stowe. Ces feuillets et la correspondance de Toussaint, rencontre de l’homme et des événements, n’en ont pas fait un soldat de la plume. Guère plus un personnage ayant inspiré la littérature de fiction, quand la traite des noirs, rétablie, son abolition par la Révolution n’ayant pas été définitive, la première moitié du XIXe siècle s’est employée à reprendre le flambeau de la lutte contre l’esclavage. L’esclave noir révolté a su inspirer, avec Bug Jargal (1820) de Victor Hugo, Tamango (1829) de Prosper Mérimée, Rolla (1833) d’Alfred de Musset, Ourika (1823) de Madame de Duras, un humanitarisme romantique pénétré de religiosité, contribution de l’éthique chrétienne au message social et anticolonial de 1848. Soulèvements à Saint-Domingue, révoltes sur les navires négriers mettent en scène des chefs énergiques et charismatiques, épris de liberté et de justice. Une éloquente exception, avec des aspects programmatiques, s’écarte de ces exubérances, Toussaint Louverture (1850), un drame en vers de Lamartine, hymne à « la Marseillaise noire » et à l’instruction des noirs, qui témoigne de la droiture de l’engagement de l’homme qui, « où la foule n’est pas », incarna les espoirs de la Deuxième République. Un sens politique aigu de la filiation historique guide cette pièce qui épouse le projet intégral qui était celui de 1848. Schoelcher a consacré un essai à Toussaint, Césaire également. Spartacus, emblème de l’esclave brisant ses chaînes, s’est, lui, constitué une rente littéraire à l’intérêt inégal, mais durable. Le même Lamartine, qui décidément sait lier les sujets et percer à jour leurs concaténations, évoque Spartacus dans son Histoire des Girondins (1847). Dans De l’Esclavage moderne, Lamennais l’a illustré avec une grande force. C’est toujours du caractère inaliénable de la famille humaine qu’il s’agit. Quinet a consacré un drame au sujet, qui est celui du désespoir. Le coup d’Etat de Napoléon III entre-temps a frappé. Georges Sand l’a invoqué de sorte « que l’esclavage féminin ait aussi son Spartacus ».

Sa capture vaudra à Toussaint Louverture d’être relégué au Fort de Joux où il mourra, malgré les soins de Mars Plaisir, son domestique autorisé à l’accompagner, victime du rude hiver jurassien. Pamphile de Lacroix, dans Révolution de Saint-Domingue, rapporte que, en montant à bord du Héros, le vaisseau qui doit le conduire en France, le Premier des Noirs aurait dit au capitaine : « on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des noirs ; il repoussera, parce que les racines en sont profondes et nombreuses. » (p. 85) A Saint-Domingue, émancipée par la Révolution, et malgré les tentatives de Leclerc de reprendre en main la colonie, l’indépendance de la première République noire était entrée dans les faits, défendue, les armes à la main, par les généraux de Toussaint, chefs « plus exagérés », « plus désaffectionnés », « plus opposés encore à l’autorité de la métropole », dira d’eux Napoléon. Ayant repris la lutte pour vaincre avant de se la partager, ils en firent le Royaume pour Christophe, l’Empire pour Dessalines, la République avec Pétion. Les trois formes de régime auxquelles la France moderne s’est employée tour à tour pour se trouver.



1. Guillaume Thomas François Raynal, Histoire philosophique et politique des Etablissements et du Commerce des Européens dans les deux Indes, tome IV, Livre XI. La Haye, Gosse, 1774, pp. 234-235.

 

[2] Catherine Salles, Spartacus et la révolte des gladiateurs, Paris/Bruxelles, Complexe, 1990, p. 169.

[3] Le Moniteur, VI no 107, p. 432, cité par J. Bouineau, op.cit., p.357

« L’autre, d’ailleurs ou d’antan, chair vivante de mon humanité »

 Lorsque Christophe Colomb découvrit l’Amérique, ce n’est pas un ailleurs vide d’êtres humains qu’il découvrit. Le navigateur n’était pas dans cette idée préconçue, il y avait bien quelqu’un au rendez-vous du bout du monde, mais ce quelqu’un n’était pas celui attendu et encore fallut-il que la Controverse de Valladolid décidât que cet être inconnu ait une âme, ce qui fut décidé. Il n’y a pas d’ailleurs qui ne soit soudé à la présence de l’Autre. Les Boers du Transvaal en quête de la Terre Promise l’apprirent malgré leur religion. Les Israéliens l’apprennent, chaque jour, à leurs dépens. L’écrivain qui s’autorise à rêver innocemment de l’ailleurs se doit de garder à l’esprit cet axiome : l’autre est chez soi chez lui et ne peut, par un pervers retournement, légitimer notre présence. Instrumentalisé, il ne peut devenir un ennemi voulu nécessaire. L’homme n’est pas un empire dans un empire, a écrit Spinoza. Encore faut-il que la constatation n’aille pas avec la conviction que l’autre occupe notre grand rêve de l’ailleurs pour nous éprouver.

A la page 182 de L’insoutenable légèreté de l’être, Kundera fait naître le regret suivant  dans l’esprit de Sabrina, confrontée à la nouvelle du décès de celui qui fut son amant : leurs vocabulaires auraient pu « pudiquement et lentement » se rapprocher « comme des amants très timides ». Pour la rencontre d’autrui, comme pour l’amour, il faut être deux, et je retiens ce pluriel de deux vocabulaires qui demandent à se conjuguer là où la communication humaine serait plutôt, selon l’auteur, un canon musical mal synchronisé…

 Là où, dans La Vie est ailleurs, Kundera conduit une entreprise de déconstruction autrement radicale de l’illusion lyrique, il subsiste ici, pour « le facteur humain » une dernière piste possible qu’on retrouvera sur le tard, en 1998, avec L'Identité, directement écrit en français, et qui rend hommage à l'amour, seul à pouvoir nous protéger d'un monde hostile et primitif. Si l’on suit toujours notre auteur, la poésie elle-même ne nous protège plus de rien, elle qui était si proche de Dieu, et le renvoi, en amont comme en aval de l’illusion lyrique, dans la prose, dans les travestissements kitsch des idéologies, et dans les relations intimes et privées elles-mêmes, envahit radicalement notre monde des modes d’expression du mensonge. Ceci pour rendre justice à Assia Djebar, qui ne fut pas seule à croire jusqu’à ses douze ans que tout ce qui était écrit était sacré.

 Pourtant, malgré les embûches liées au dysfonctionnement de la parole, le prosateur possède la faculté de s’approprier le monde dans l’espace de l’écriture. Qu’il le fasse dans la géographie du visible ou remonte l’espace dans le ruisseau chargé de l’histoire, l’espace-temps où il écrit est le privilège du créateur ; il s’en justifiera certes auprès des autres, mais après coup.  D’ici là, il est le démiurge qui a pu aventurer quelque chose. Sabrina, sous le coup du regret de l’autre, n’ébauche pas autrement son regret de ce qui n’a jamais eu lieu et qui n’appartient qu’à elle seule, à son « vocabulaire ». Si elle avait écrit le livre où elle figure, elle aurait suivi souverainement le scénario de ses choix quitte à se laisser porter par eux, cette fois de l’intérieur.

 A ce que je puis en savoir et en dire, si je tente d’expliquer le travail d’écriture, je demeure dans la conclusion que tout est dans le livre quoiqu’il nous domine plus souvent que nous ne le dominions, dialogue entre une pensée qui interroge et des faits qui lui répondent au-delà de la question.

Pour preuve, d’autres lecteurs y trouveront légitimement d’autres résonnances. L’imaginaire, où je vous invite et qui prend la forme d’un être de langage, fonctionne ainsi, pour ce qui me concerne, à la rencontre de deux dimensions : d’un côté, le conte et la fable sous la forme d’une acclimatation personnelle du réalisme magique, et ce que j’appellerais l’objectivation d’objets internes ; de l’autre, le déplacement dans le temps et celui dans l’espace avec leur contexte vécu et daté, souvent allant de pair avec un déplacement dans des littératures autres que la littérature française, dans des langues autres que la mienne, à la marge des cultures savante et populaire, de la tradition orale et de la transposition littéraire, citations et références à l’appui, sources orales ou écrites, imitations, transcriptions et emprunts.

Je ne puis parler de réalisme dans cette rencontre en tous les cas  construite où je vais à la rencontre des signes et des manifestations de l’ailleurs pour leur chercher un sens qui, en toute logique, ne m’a pas été donné de connaître, un sens qui aille avec l’homme, cherchant à l’y placer, mais avant de pouvoir l’y interroger.  En somme, je me trouve à ce stade dans une posture réclamant pour progresser le secours d’une médiation, quelque chose qui ressemble à la disponibilité du touriste curieux, c’est-à-dire étymologiquement « qui apporte son soin au monde ». Le touriste sauvegardé de la récupération n’est plus que cet insulaire qui se désencombre l’œil des déchets pour retrouver un peu de l’état originel, aspiration tolérable pour le poète qui est en chacun de nous, mais qui appellerait plutôt le romancier sur la voie de sortie d’une formule de réorganisation personnelle devant la présence cet Autre que le voyageur de l’espace-temps voudrait rencontrer pour apaiser en lui quelque vide, plus représentable que saisissable de prime abord s’il s’agit d’un personnage ou d’un type sortis de l’histoire.

 Un écrivain belge n’ignore pas qu’il existe une question identitaire qui parcourt la littérature de son pays, déclinée en l’occurrence dans son expression francophone, celle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette question identitaire, qui n’est pas une malédiction, est conforme à celle d’un pays de frontières intérieures et extérieures qui fait de nous, dans l’ouverture, des passeurs de frontières astreints à apprendre les conditions et modalités de déplacement de la rencontre de l’Autre…

 L’imprécision identitaire qui nous caractérise n’est ainsi pas un vide ou une soustraction, mais bien le lieu du dialogue d’identités multiples, « de tiroirs » (belge, européen, francophone, wallon et de terroir…), infiniment plus créateur, à mes yeux, que la cristallisation observée dans les identités des Etats nations.

 C’est à cette réalité que notre statut littéraire doit d’hésiter entre notre appartenance à la littérature belge, ou à la littérature française de Belgique, ou à la littérature d’expression française de Belgique ou encore aux littératures francophones, ou encore à ce que vous aurez la liberté d’aller puiser dans des courants affranchis des codes littéraires français, qui n’ont pas ou peu, ou pas exactement, leur pendant dans la France contigüe, comme le surréalisme ou comme le fantastique et le réalisme magique, souvent coulés dans un genre, semble-t-il, moins prisé des auteurs et des lecteurs français, celui de la nouvelle ou du conte qui fait florès ailleurs, dans le Märchen de la littérature allemande, la short story anglo-saxonne, ou le cuento de la littérature latino-américaine.

 « Se sentir chez soi est une question de reconnaissance du paysage du cœur… », a écrit Robert Litell. La Belgique est ma terre d’élection du fantastique élargie aux autres terres d’élection du fantastique. Peut-être cette trajectoire trace-t-elle une marge par rapport à un centre, une métropole, par rapport à la culture même de la métropole française. Dans le champ culturel et linguistique, les marges sont évidemment invitées à démontrer leur savoir.

 Auteur de romans historiques entrecroisés de récits de voyages, j’ai moi-même illustré par trois fois ce genre de la nouvelle ou du cuento venu de l’Amérique latine, écrivant en français des récits nourris de livres et d’anciennes chroniques, de paysages qui se lisent à livre ouvert, voire de la couleur de peau de l’Autre. Ces romans et contes ont fait les mêmes détours que moi avant d’échouer sur le papier, qui est ma table d’opération.Le plus souvent, ils rapportent une réalité hors mesure pour la réalité exigüe de la petite Belgique, avec les catégories d’un ordre rappelant le poids de l’histoire ou, au contraire, l’en affranchissant, ainsi que des agrandissements d’échelle faisant intervenir l’océan ou le désert comme dans mon roman qui vient de sortir, intitulé Une Symphonie Or. Ils alignent des personnages à la fracture du temps, explorateurs, réfugiés ou baroudeurs, archéologues ou savants voyageurs que je pourrais qualifier d’esprits libres et de héros ironiques en quête de construction/déconstruction, mais aussi de rêveurs exorbités.

 Un autre aspect de ce statut d’écrivain belge où j’évolue intéressera peut-être plus directement les amis algériens qui nous accueillent aujourd’hui et peuvent tirer fierté du nombre de leurs grands talents littéraires. Ma culture de frontière m’incline à me montrer comparatiste. C’est qu’il existe aussi dans le trésor de la littérature française générale des chefs d’œuvre, souvent passés au tamis de la critique et des politiques éditoriales parisiennes avant que celles-ci leur discernent leurs prix, qui ne sont pas de France, mais d’ailleurs.

 S’ils ne sont pas parisiens, ils sont perçus comme des écrivains francophones périphériques voire auxiliaires, la centralité de leur propos serait-elle pourtant évidente. Ces écrivains habitent la même langue qui est comme leur patrie personnelle et les classifie comme écrivains francophones, mais il me paraît, à vrai dire, que cela est insuffisant d’autant que c’est un Français, René Etiemble, qui a fondé la littérature comparée.

 Ce que je souhaite plaider devant vous, c’est une nécessité plus haute que leur institutionnalisation, c’est le caractère précieux d’une approche comparatiste avec l’immense savoir qu’elle exige. Elle rappelle que notre connaissance du monde, celle du monde arabe, en particulier, mais le constat est ici général, serait plus insuffisante encore qu’elle ne l’est s’il n’y avait pas eu, s’il n’y avait pas toujours de très grands auteurs comme Kateb Yacine et Mohammed Dib, Boualem Samsal, Amin Maalouf ou Andrée Chedid, Assia Djebar, membre de l’Académie royale de Belgique depuis 1999, pour nous rendre compte d’un univers qui, sans eux,  sans elles, difficilement accessible pour nous dans la langue monde qu’est l’arabe, le devient dans un français mis en mesure d’exprimer le ressenti d’autres cultures.

 Par ailleurs, il existe un Mohammed Zouzi Chebbi pour mettre enfin à la portée du lecteur francophone le Diwâne des cantiques de la vie d’Abul Qacem Chebbi, le grand poète de l’indépendance tunisienne enfin traduit en français, c’était l’an dernier ; un autre Algérien, Kamel Daoud, lauréat, cette année, du Prix des Cinq Continents de la Francophonie, pour Meursault, contre-enquête, roman écrit comme une réponse à L’étranger de Camus et qui a été publié chez un éditeur dont – c’est la première fois pour ce Prix –, la maison est hors de France, l’éditeur algérois Barzakh. D’autres auteurs encore venant souligner mon propos, passeurs de frontières tels Michel Tournier ou André Pieyre de Mandiargues, tous deux français, pour nous revenir d’un ailleurs qui est chez eux l’Allemagne…

 Mon ami Roger Hotermans, délégué de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Alger, se souviendra de cet article que lui et son épouse m’ont aidé naguère à publier dans deux des trois langues nationales de notre pays, le français et l’allemand, et dont l’intention était de mettre en lumière le rôle joué, par ces écrivains bilingues de la frontière orientale de notre pays, Mockel et Géraldy, dans le rapprochement entre les poètes du cénacle de Mallarmé, rue de Rome à Paris, et celui de Stéphane George, le grand poète symboliste allemand des bords du Rhin.

 Chers confrères,

 J’ai recherché la rencontre avec l’Autre, cet autre moi-même et différent, pétri de la chair d’autres vies et d’autres livres, à l’instar de cette rencontre, qui n’eut jamais lieu, entre Toussaint-Louverture et Heinrich von Kleist dans mon drame Fort de Joux, rencontre moins insolite qu’il ne le paraît car, serait-ce sous un aspect livresque faute d’un voyage, Saint-Domingue n’était pas étranger à Kleist, et nous avons accédé également grâce à lui, nous autres Européens, à l’univers antillais d’Aimé Césaire et d’Edouard Glissant, avec les rhizomes de nouveaux métissages.    

 Il reste cependant toujours à atteindre l’Autre plus avant, à l’exemple du traducteur pénétré de sa mission, ce passeur universel exemplaire de la diversité culturelle aujourd’hui aux prises avec les grandes fractures de notre époque. Le traducteur en est le médiateur le plus achevé.

Par son exigence et ses connaissances, le traducteur illustre la bonne pratique des langues, deux langues, deux manières d’être au monde. Nul autre mieux que lui, s’il égale l’auteur qu’il traduit, ne donne sa plénitude à la diversité culturelle et linguistique.

Il n’est pas de passeur de frontières sans traducteur nécessairement désarmé devant l’Autre, si savant que sa modestie le fait disparaître comme s’efface le médiateur pour prix de la confiance que portent en lui les deux parties qu’il a charge de mettre en regard. Il est dans les deux langues, et, pour être deux, comme pour l’amour, il faut savoir aussi s’oublier soi-même…

 Mesdames et Messieurs,

 Il reste, pour celui qui s’adresse à vous, une dernière tâche à déclarer inachevée, une tension du tout dont j’espère qu’elle puisse conduire vers un dépassement du domaine réservé de l’écriture. « J’ouvre les livres pour étudier, je les ferme pour vivre » a dit André Suarès. Sans doute sortirons-nous toujours de la sécurité et du bonheur de notre table de travail pour une vie recommencée où l’autre est un élément dérangeant qui vient faire irruption et attend un effort de plus.

 Cet autre, tantôt complaisant, susceptible d’un tête-à-tête fait d’empathie comme le savant arabe de ma nouvelle Le Nègre de Djerba, une nuit de l’an 710 de l’Hégire, tantôtbeaucoup moins qu’on le souhaiterait, tantôt sujet aux accidents de la vie, à sa violence, collective ou privée, larvée ou publique… « Malheureux le pays qui a besoin d’un héros », a écrit Berthold Brecht.

 L’insoutenable légèreté de l’être, nous avertit, page 143, par le truchement d’une attachante jeune femme de notre temps, que « la gloire des flammes où nous serions brûlés comme hérétiques », « la gloire de la cendre que nous deviendrions alors », est le seul langage que peuvent unanimement comprendre ceux qui n’ont jamais lu une ligne d’un seul livre, « de sorte que l’essence de l’âme d’un peuple ne serait elle-même que de la cendre, rien de plus »…

 La souffrance humaine, l’espérance nous sont communes. La diversité du monde, la diversité du sentir enseignent des chemins du savoir qui conduisent à l’universalité, laquelle n’est pas sécable. Tout ce qui monte converge. A l’instar du soufi qui prie, retiré dans le silence, ou de ce pape de la Renaissance qui, le premier, s’avisa un jour de gravir, en Italie, le monte Amiata, inaugurant de la sorte une longue tradition européenne du paysage, le passeur de frontières s’aventure, auteur, traducteur ou médiateur, en terrain découvert à la recherche de soi qui est la rencontre espérée d’un autre en chemin sur le même chemin.

Je vous remercie de votre attention.