Philippe Cantraine reçoit le prix Verdickt-Rijdams

Philippe CANTRAINE a exercé à plusieurs reprises, les fonctions de Délégué Wallonie-Bruxelles, d’abord à Québec, dès l’ouverture de la première Délégation en 1984, ensuite à Rome de 1988 à 1994, à Paris, de 1996 à 2000, comme Conseiller aux affaires multilatérales, à Bruxelles comme Conseiller sous la dernière Présidence belge de l’Union européenne, et à Varsovie, de 2002 à 2004. Il a été Conseiller au cabinet du Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, S.E. M. Abdou DIOUF de 2009 à 2015. Parallèlement à ses fonctions diplomatiques il est aussi poète, nouvelliste et romancier. Ses ouvrages ont remporté divers prix.

Son roman Le Gouverneur des coquillages a reçu une belle consécration, puisque l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique a décerné à son auteur le prix VERDICKT-RIJDAMS 2009, d’un montant de 2 500 euros, pour cet ouvrage paru en prose. La remise officielle de ce prix a eu lieu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique le samedi 19 juin 2010.

 

 Lectomaton, Le gouverneur des coquillages, de Philippe Cantraine, lecture par Philippe Cantraine, Foire du livre de Bruxelles mars 2009, stand de la Communauté française : http://www.dailymotion.com/video/x8rvnl_lectomaton-le-gouverneur-des-philip_news

 Emission Notele "Plein la Vue" - 24 avril 2009 :www.notele.be/list20-si-on-sortait-media5493-plein-la-vue-24-04-09.html

 

  LE GOUVERNEUR DES COQUILLAGES (roman, Editions Luce Wilquin, 2009)

 Inspiré par la destinée d’un personnage ayant réellement vécu et à qui serait resté de nous livrer ses mémoires, ce roman est celui d’un naturaliste voyageur du premier Dix-neuvième siècle qui, ayant couru la Méditerranée pour le compte des Hollandais, manqua, sa mission terminée, devenir gouverneur des Indes Orientales néerlandaises. François Joseph préféra rentrer dans la Belgique devenue entre-temps indépendante. Il y  enseigna la biologie à l’université de Gand.

Il partagea les espoirs et les idées de ceux, fort nombreux, qu’il côtoya, tant dans les Pays-Bas de Guillaume 1er que dans l’Italie en révolution, tant à Paris qu’à Bruxelles devenue capitale. Adversaire du dogmatisme religieux et du régime censitaire avec fermeté et clarté, il le fut aussi sans jamais méconnaître les racines de la religiosité. Pour lui, en ce début brutal de la révolution industrielle, la machine à vapeur et la Constitution allaient de pair. Elles requéraient le suffrage universel et l’accès à l’instruction de tous ses concitoyens.

 Témoin de la misère des campagnes, du déclin de la toilerie traditionnelle et des ravages dus à la maladie de la pomme de terre, ce fils d’un modeste cultivateur de la Région des Collines, en Hainaut, s’y engagea en faveur de politiques sociales à l’occasion des campagnes électorales de 1843 et 47, soutenant les thèses du radicalisme démocratique au plus fort de la décennie qui devait culminer en Europe avec 1848.

 

françois-Joseph Cantraine à soixante ans

 

Un entretien avec Françoise LISON

Les questions "prétextes" de Françoise LISON visent avant tout la découverte afin de donner au lecteur la meilleure idée du récit.

1) Ce premier roman du poète-nouvelliste est un ouvrage imposant. Du poème au roman, tout un chemin ?  

C’est difficile à dire, car je n’écris pas l’un contre l’autre, la poésie contre le roman, ni réciproquement. Il va de soi que, lorsque j’écris de la poésie, je ne suis pas dans la peau d’un héros positif, d’un héros social et d’un protagoniste du conflit de classe. Dans ce roman parle un autre moi, d’ailleurs capable d’un grand détachement par rapport à soi-même. Il s’agit d’un roman, et ce n’est pas mon autobiographie. Ce n’est pas moi qui parle, c’est François qui m’intéresse, ce n’est pas lui qui s’identifie à moi.

C’est le narrateur que j’ai mis sur la piste de François, le naturaliste voyageur, le fils des Collines, l’engagé politique, et qui est censé s’identifier à lui et me conduire où il le juge bon, je ne sais d’ailleurs pas toujours où.   

Mais il y a aussi cette confession d’un amoureux des coquillages, cette destinée dont la base est véridique, mais dont la reconstitution est une vaste amplification. Je pense qu’il y a un niveau de lecture à ce roman qui est plus discret, qui renvoie de l’action vers la contemplation, qui suggère un univers analogique du nôtre, donc un univers poétique. D’ailleurs le thème du voyage lui-même s’y prête depuis toujours.

2) C'est dans les Collines que naît cet itinéraire. Un pays auquel vous êtes particulièrement attaché ?  

Ce pays, c’est le nôtre, à vous comme à moi. C’est la Région des Collines. Nous l’aimons et François lui-même l’aimait. Il se fait que son patronyme est aussi celui de ma famille. Ce n’est pourtant pas pour cette raison que je le signale. D’ailleurs, j’évite systématiquement de décliner son nom de famille dans le roman. Pour que l’on ne se trompe pas sur mon intention. Pour toucher à un lien de parenté avec François Joseph Cantraine, il me faudrait remonter haut dans l’histoire, bien plus haut que le début du XIXème siècle. En fait, il s’agit d’un patronyme répandu, attaché à notre sol comme le sont les équivalents Cantagril et Cantaloup dans le Midi. Mais justement, ceci ne le rend que plus générique, emblématique…

Il s’agit donc aussi de la mémoire des Collines. François Joseph appartient à l’antique « gens » des Cantraine des Collines, c’est-à-dire à tous ceux des mêmes Collines qui le reconnaîtraient comme un des leurs.

3) François Joseph est un savant, à la fois distant et émouvant. Comment l'approcher ?  

Il est surtout distant parce que, à l’instar de son modèle qui vécut au XIXème siècle, c’est un professeur à chapeau buse et favoris, un homme plutôt sérieux, flanqué d’un sacré prénom. De plus, notre connaissance de lui est incomplète et laconique. L’ignorance peut porter à la caricature ou au poncif. J’espère y avoir échappé. J’ai allumé un contre-feu en allant l’imaginer sous les traits d’un personnage d’Ingres. Ce peintre voyait les hommes sous leur forme animale. François voyait les animaux comme des êtres vivants. Par ailleurs, François est émouvant par son origine modeste, par ses qualités signalées, en témoignent ses contemporains et amis. Parce que c’est un paysan de chez nous et parce que c’est un homme de cœur autant qu’un esprit ouvert, curieux de tout ce qui peut être utile aux hommes. J’ai restitué à mon personnage les traits de caractère avérés qui étaient ceux de son modèle.

4) La science des poissons, mollusques et oiseaux traverse son histoire personnelle. Une passion de toujours, pour lui, pour nous ?  

En fait, je me suis fait à moi-même le cadeau d’une rencontre réussie : quand j’étais adolescent, j’étais passionné par les mollusques, les roches, les fossiles, les minéraux. Je les ai collectionnés durant des années et en ai encombré des greniers jusqu’à aujourd’hui. Voici que, sur le tard, je suis redevenu jeune homme. François Joseph a été un nouveau guide, un guide tardif.

5) Un parcours atypique, dans la mouvance du XIXe ?  

Je ne pense pas qu’il soit atypique, au contraire. L’époque connut bon nombre de voyageurs, écrivains ou naturalistes. Demandez à Serge Hustache qui en est passionné. Il est vrai que des personnages qui voyagent sont différents des êtres que l’on rencontre le plus communément. Par rapport à ces derniers, ils sont insolites, représentent une humanité atypique. Ils se singularisent, ce qui peut être difficile à porter. Même de retour de voyage, heureusement réintégré et rangé, ce qui aurait pu ne pas être le cas, François Joseph restera celui qui a pris un risque, s’est rendu sur place pour rendre l’univers lointain plus accessible, vérifier la portée de ses déductions, alors que les préjugés sont légion, alors que tout a priori l’enracinait au pays.  

6) Une épopée qui épingle la vie locale et la vie planétaire ?  

Oui, il y a une dimension épique. Le passage du planétaire au local et réciproquement a des effets entraînants, grossissants. Ensuite, il supprime les distances, tout comme ces coquillages que François Joseph emporte avec lui où qu’il soit, qui sont objet d’étude, mais sont aussi poétiques car ils sont « parties pour le tout ». Puis, c’est aussi de l’aventure de la science dont il s’agit, et d’un discours optimiste et conquérant à son propos. Enfin, François Joseph, parmi les personnages romanesques, est ce qu’on appelle « un héros positif », ce malgré ses états d’âme qui, heureusement, sont plus complexes qu’il n’y paraît, et malgré l’histoire qui, quand il s’agit de ses projets multiples, se montre volontiers ironique et contrariante à son égard.  

7) Des précisions: le tableau de couverture représente François Joseph ? tableau de Hanneton ? Un Cantraine de votre famille ?  

Mon personnage a rappelé l’existence, dans les collections et archives d’Ath, à ceux qui en ont la respectable charge, d’un tableau d’Henri Hanneton, professeur à l’Académie de dessin à l’époque où vivait François Joseph Cantraine. Hanneton jouit toujours aujourd’hui d’une certaine faveur chez les marchands de tableaux anciens. On lui doit également l’un ou l’autre des géants actuels dans le cortège d’Ath. Quant au modèle du portrait, à ce jour, on ignore de qui il s’agit. Peut-être un professeur du collège d’Ath ? Le mystère perdure, provisoirement j’imagine. En tout cas, ce n’est pas François Joseph, qui était bâti de façon très différente si l’on en juge du seul portrait dont on dispose et qui n’était malheureusement pas publiable : front haut, longs favoris, visage plein… Nous l’avons proposé à Luce Wilquin, Jean-Pierre Ducastelle et moi, parce qu’il était emblématique du milieu, de la profession, du statut d’un enseignant de l’époque dont il est question dans le livre, d’autant plus emblématique qu’il n’a pas encore retrouvé son nom…

 

 

 La critique de Joseph BODSON

Peut-être est-ce à la toute dernière ligne des Remerciements qu’il faut chercher l’une des clés essentielles de ce long roman :  Je terminerai en disant que mon père était des Collines et que ma mère était gantoise. Car si Philippe Cantraine peut apparaître comme un auteur prolixe, il est aussi d’une discrétion exemplaire, avec un air de ne pas y toucher. Et c’est, aussi, un livre de piété filiale : envers ses parents, mais aussi envers sa région, ce Pays des Collines où il a la chance d’être né, car c’est l’un des pays les plus beaux que l’on puisse imaginer. Un pays de pauvreté – et la pauvreté joue aussi un rôle important en ce livre – mais aussi un pays où se déploient ce que Jean Giono appelle Les Vraies Richesses. Mais il faut tout de suite préciser que, si le Gouverneur des Coquillages est un personnage bien réel, qui a laissé des traces dans l’histoire, il n’a pas de lien familial direct avec notre auteur. On reste confondu devant la masse, la richesse d’informations que nous fournit l’ouvrage de Philippe Cantraine, et devant la somme de travail et de recherches que sa composition lui a coûtée.

  C’est un roman à l’action très lente, écrit à la première personne. Mais d’une façon un peu spéciale : on parle assez souvent de l’auteur omniscient, qui plane au-dessus de ses personnages, un peu comme Dieu le Père, et en connaît tous les travers, toutes les arrière-pensées (Balzac en est le meilleur exemple).

Ici, c’est le personnage principal, celui qui dit « je », qui sait tout, connaît tout, même ce qui se passera après son décès, quitte à nous adresser de temps à autre un clin d’œil d’outre-tombe. Un personnage qui, par ailleurs, se connaît et se juge lui-même avec une rare perspicacité en même temps qu’une rare discrétion, et, par là, il ressemble à son auteur : Bon Cœur et Mauvaise Tête, ses foucades, ses coups de colère lui joueront de bien vilains tours. C’est un idéaliste : toujours il placera ses idéaux, à commencer par la liberté de penser, de dire et d’écrire – nous sommes aux alentours de 1830 – au-dessus de tout le reste. Il se lancera tête baissée dans la politique, se rangeant d’emblée parmi les libéraux avancés, partisans du suffrage universel et défenseurs du petit peuple des collines en proie à la misère, au mildiou qui détruit les récoltes, au typhus et au choléra.

Il est vrai que c’est une période extraordinaire, aux nombreux bouleversements, qui amènent les individus à dévoiler le fond d’eux-mêmes. Régime français, règime hollandais, Belgique indépendante ; le catholicisme libéral de Lamennais, crossé par Grégoire XVI ; les grands débats sur la portée du suffrage ; les grandes controverses scientifiques : Cuvier contre Lamarck, le catastrophisme créationniste contre l’évolution. Carlo Bronne nous avait procuré, il y a longtemps déjà, une superbe biographie de Malou-Riga, un personnage qui connut lui aussi des avatars multiples, un révolutionnaire devenu missionnaire en Amérique, et le personnage de François-Joseph Cantraine a plusieurs traits communs avec lui. Cantraine a beaucoup voyagé dans sa jeunesse, en Italie, en Dalmatie, à la recherhe de coquillages rares, et l’Italie est un peu sa seconde patrie – une prédilection partagée par l’auteur.

Mais, nous le disions en commençant, une discrétion presque absolue en ce qui concerne ses amours, sa vie familiale. Une discrétion qui frise la froideur, jusqu’au moment où, dans les dernières pages, sa tendresse se manifestera. C’est aussi, pour couronner le tableau d’une vie humaine bien remplie, depuis les voyages du conchyologiste, de ce savant qui aurait pu devenir gouverneur des Indes néerlandaises, un tableau remarquablement juste du vieil âge, de ses bilans, de ses déceptions rentrées, de la marque implacable du temps. Mais il gardera toujours, vis-à-vis de lui-même, une certaine dose d’humour, et une lucidité sans trop d’indulgence.

Gouverneur des Coquillages… Quel beau titre, à la mesure de ce personnage hors normes, plus attentif à la justesse de la  cause qu’il défend qu’au couronnement de ses ambitions (et pourtant, ambitieux, dieu sait s’il l’est, et calculateur…). Un titre à la mesure, précisément, de la grandeur et de la petitesse de nos ambitions, de nos destinées. Et n’est-ce pas cela, en fin de compte, qui juge un homme ? Rappelons-nous les paroles de Solon à Crésus, chez Hérodote : avant que l’on dise d’un homme qu’il est le plus heureux, il faut attendre qu’il soit mort. Un titre en forme d’épitaphe heureuse, avec un rien de gouaille, pour cet homme pleinement homme, qui voulut, comme tant d’autres à son époque, rendre vivante et réelle la parole de Saint-Just, et faire advenir au Pays des Collines ce bonheur, idée neuve en Europe.

Joseph Bodson    

 

 

La belle histoire de François Joseph


Interview : Françoise LISON - Le Courrier de l'Escaut, mardi 3 février 2009

 Le premier roman de Philippe Cantraine est en librairie depuis quelques jours. «Le Gouverneur des Coquillages» est né au Pays des Collines.

Originaire d'Ath, fils de l'écrivain Roger Cantraine, l'auteur vit aujourd'hui à Paris. Dans un volumineux ouvrage, il retrace le parcours d'un savant né à Ellezelles en 1801. À partir de l'intéressante notice biographique que rédigea Albert Delcourt, curé de Flobecq et géologue, Philippe Cantraine a construit un roman, «la page symphonique de ce qui, à travers ce qui nous est connu, peut être la vie d'un esprit fort du XIXe siècle.»Spécialiste des mollusques, des poissons et des oiseaux, François Joseph Cantraine, naturaliste voyageur, ira en mission jusqu'aux Indes avant de revenir au pays natal. Il s'y engagea ensuite socialement et politiquement, et enseigna à l'Université de Gand.

 On vous savait poète, vous voilà romancier ? Il va de soi que, lorsque j'écris de la poésie, je ne suis pas dans la peau d'un héros positif, d'un héros social et d'un protagoniste du conflit de classe. Dans ce roman, parle un autre moi, d'ailleurs capable d'un grand détachement par rapport à soi-même. Ce n'est pas moi qui parle, c'est François Joseph qui m'intéresse La base de cette destinée d'un amoureux des coquillages est véridique, mais sa reconstitution est une vaste amplification.

 François Joseph est un homme distant et émouvant. Comment l'approcher ? Il est surtout distant parce que, à l'instar de son modèle qui vécut au XIXe siècle, c'est un professeur à chapeau buse et favoris, un homme plutôt sérieux, flanqué d'un sacré prénom. De plus, notre connaissance de lui est incomplète et laconique. L'ignorance peut porter à la caricature ou au poncif. J'espère y avoir échappé.

 Par ailleurs, François Joseph est émouvant par son origine modeste, par ses qualités signalées, en témoignent ses contemporains et amis. Parce que c'est un paysan de chez nous et parce que c'est un homme de coeur autant qu'un esprit ouvert, curieux de tout ce qui peut être utile aux hommes. J'ai restitué à mon personnage les traits de caractère avérés qui étaient ceux de son modèle.

 La science des animaux étudiés traverse son histoire personnelle. Une passion de toujours, pour lui, pour vous ? En fait, je me suis fait à moi-même le cadeau d'une rencontre réussie : quand j'étais adolescent, j'étais passionné par les mollusques, les roches, les fossiles, les minéraux. Je les ai collectionnés durant des années et en ai encombré des greniers jusqu'à aujourd'hui.

 Voici que, sur le tard, je suis redevenu jeune homme. François Joseph a été un nouveau guide, un guide tardif.

 Une épopée qui épingle la vie locale et la vie planétaire ? Oui, il y a une dimension épique. Le passage du planétaire au local et réciproquement a des effets entraînants, grossissants. Ensuite, il supprime les distances, tout comme ces coquillages que François Joseph emporte avec lui où qu'il soit, qui sont objet d'étude, mais sont aussi poétiques car ils sont «parties pour le tout».

 Puis, c'est aussi de l'aventure de la science dont il s'agit, et d'un discours optimiste et conquérant à son propos.